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Avancer les yeux ouverts…

  • Patrick Arman SAVIDAN
  • 2017

Pour ne rien oublier, pour prolonger ce qui fut un gros titre dans la presse, une émotion passagère, le temps de s’émouvoir, un peu, dans ce partage des informations où la conscience n’existe que dans le temps, un temps impalpable, instable, dépassé lui-même par d’autres événements plus âpres, où l’attention se portera ailleurs comme si l’ailleurs pouvait tout effacer.

Le temps enlise vite la mémoire.

Il est des artistes pour qui l’actualité peut devenir le corps de leurs productions. Aujourd’hui comme hier, l’artiste a su faire de son travail un objet nourri de l’actualité pour dire la dureté du monde.

C’est le choix de Pénélope, délibéré, assumé, pleinement vécu, de faire de sa création un combat.

Le quotidien « Le Monde » est son terrain d’exploration. Dans le silence de son « sous-sol », elle examine les articles de presse, les sonde, les décrypte. Elle s’efforce de trouver le mot, le fragment de texte, la phrase qui feront fusion avec l’image de l’art passée choisie comme support, une image connue, reconnue, détournée de l’esthétique de son temps pour devenir contemporaine. La création se construit mots par mots, lettre par lettre et, comme un palimpseste, se fond dans l’image première. La picturalité ajoute là où le linéaire ne suffit pas. Le collage se construit ainsi par couches, par strates. Les sédiments de l’art rendent visible l’engagement de l’artiste dans l’actualité. Le monde du passé rejoint le monde d’aujourd’hui.

Pour Pénélope

Les poètes. Hommage à Léo Ferré - 2015 - 90 x 90 cm
Les poètes. Hommage à Léo Ferré - 2015 - 90 x 90 cm

L’artiste, découpe, divise, taille, morcelle, segmente, déchire l’actualité de notre monde et la recompose en un tout éclectique dans des assemblages et collages savants où se lit l’archéologie des « mondes » de Pénélope. Elle ne s’attache ni à la pluie ni au beau temps, aux sujets ordinaires de la vie quotidienne mais à ceux, vastes et graves qui menacent notre vie et celle des générations à venir. Cette démarche introduit des sujets peu faciles que seule Pénélope saura mettre à la portée de tous.

L’explosion nucléaire de Fukushima rejoint l’éternité du Mont Fuji, la Mer de Glace de Friedrich se liquéfie sous l’effet du réchauffement climatique, les Champs de blé aux cyprès de Van Gogh ne disent plus le bonheur de vivre, la présence de l’abbé Pierre nous dit que la pauvreté est bien de ce monde et que ce monde va mal.

Artiste, mais aussi femme engagée. Pénélope a l’honnêteté de ses opinions. Sa Semeuse entraîne dans son sillage les femmes célèbres qui ont apporté à toutes les femmes ce que l’Histoire leur avait refusé. Ainsi est l’artiste, combattante et sincère, opiniâtre et têtue. Son audace réside dans ce rôle de passeur, elle nous donne à voir pour que notre pensée jamais ne se fige.

Pour autant, voir une œuvre de Pénélope n’est pas facile. De loin, l’image porte le spectateur vers un monde du passé parce qu’il reconnaît l’œuvre dans son appartenance à l’Histoire de l’Art et à son esthétique propre. De près, cette rencontre avec le passé s’effondre dans la lisibilité des fragments de textes, des phrases et des mots où l’actualité pénètre celui ou celle qui découvre les mots, ceux qui donnent sens à l’ensemble de l’œuvre sur papier.

La fin d’un Monde. Hommage à Caspar David Friedrich - 2016 - 180 x 240 cm (9 toiles de 60 x 80 cm)
La fin d’un Monde. Hommage à Caspar David Friedrich - 2016 - 180 x 240 cm (9 toiles de 60 x 80 cm)

De loin, un passé, de près, un présent et son actualité. Dessous, une image de l’art, support d’un dessus métamorphosé en une autre image de l’art. Pour dialoguer avec l’œuvre, il faut donc avancer vers elle, se rapprocher comme s’en écarter, plus loin. Voyages obligés pour comprendre la démarche de l’artiste.

Avec le temps, les collages sur papier semblent devenir plus paisibles. Les formats verticaux renforcent la présence extrême orientale, les vides ou les réserves s’éloignent du trop plein des images plus anciennes. Il n’en est rien. L’hommage à Hokusai, inspiré des « Cent vues du Mont Fuji » introduit le fait public et mondial ouvert à tous.

L’œuvre de Pénélope, pour ceux qui savent l’approcher, entretient avec le spectateur une conversation invisible et silencieuse. Avançons les yeux ouverts vers le travail de cette artiste rare qui, sans se tromper, fait de son art un instrument de partage sans jamais se départir de l’Art et du vaste monde où nous vivons.

Fukushima. Hommage à Hokusai Série I – vue n°2 - 2012 - 80 x 110 cm
Fukushima. Hommage à Hokusai Série I – vue n°2 - 2012 - 80 x 110 cm. Les victimes du Tsunami

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